L'absence du président de la République a fait naître dans l'opinion publique un débat dont les "leaders" du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV, parti de Chávez) et du Parti communiste négligent l'importance : que se passe-t-il si Chávez n'est pas là ? Pour la première fois, le régime chaviste est confronté à ce qu'on peut considérer comme le grand échec du processus engagé par Chávez [la "révolution bolivarienne"] : le commandant n'a pas de successeur. La base chaviste est parfaitement consciente de ce problème, alors même qu'il est nié au sommet de l'Etat, ce qui en dit long sur le divorce évident entre le simple citoyen pro-Chávez et la bureaucratie que le président a laissé gouverner le pays.
Dans ce "débat", j'ai du mal à accepter certains points de vue d'amis chavistes de base qui m'assurent que le Président, pendant son repos à La Havane, s'inquiète qu'il n'existe personne qui puisse le remplacer - ou l'aider - à la tête du processus bolivarien. Car enfin, si Chávez n'a aucun "remplaçant", c'est parce que lui même a veillé à écarter n'importe quel dirigeant osant se présenter comme un éventuel aspirant. (Toute ressemblance avec Rafael Caldera [président de 1964 à 1979 et de 1994 à 1999] sur ce sujet n'est certes pas une coïncidence.)
Si l'on analyse les derniers sondages, on découvre des résultats dévastateurs pour le chavisme (ou pour ses dirigeants). Selon l'Institut vénézuélien d'analyse de données (IVAD), si l'on organisait des primaires pour choisir le candidat chaviste à la présidence (question qui ne tenait pas compte de l'appartenance politique du sondé), 32,6 % soutiendraient Chávez, 2,6 % voteraient pour l'actuel vice-président Elías Jaua et 2,5 % pour le député Diosdado Cabello. Enfin, 57,6 % refusent de dire quelle serait leur choix dans une telle configuration.
L'état des lieux réalisé par l'institut de sondages Consultores 21 n'est pas non plus encourageant. Tareck El Aissami (avant les violences survenues dans les centres de détention Rodeo I et II) était le ministre [de l'Intérieur et de la Justice] chaviste le plus apprécié, avec 37 % d'opinions favorables dans l'électorat, suivi de près par le ministre des Affaires étrangères Nicolás Maduro (36 %), puis par Jaua (33 %) et Cabello (32 %). A titre de comparaison, le gouverneur de l'Etat de Miranda, Henrique Capriles Radonski, recueille 54,6 % d'opinions favorables, tandis que l'ancien maire de Chacao, Leopoldo Lópoz, se situe à 49 %, le gouverneur de l'Etat de Zulia, Pablo Pérez, atteignant 41 %.
Les principaux leaders chavistes ont une cote comparable à certains opposants politiques comme Antonio Ledezma [maire de Caracas], Henry Ramos Allup [député et secrétaire général du parti d'opposition social-démocrate Action Démocratique (AD)] ou Alvarez Paz [démocrate-chrétien, gouverneur de l'état de Zulia] . Ce qui ne pourra qu'ulcérer n'importe quel chaviste radical qui croit au processus de changement actuel.
Si le chavisme est dépourvu de personnalités de référence, l'opposition compte au moins trois dirigeants régionaux à vocation nationale. A l'heure qu'il est, le chavisme se limite à Chávez et à l'influence locale que peuvent avoir ses dirigeants sociaux.
Incontestablement, Chávez a changé la manière de faire de la politique au Venezuela. Ses liens affectifs avec les plus démunis ont révélé l'énorme dette sociale contractée envers cette frange de la population, obligeant n'importe quel politique à répondre à la clameur de 80 % des Vénézuéliens. Cela étant, son grand échec est d'avoir bâti un modèle qui n'admet pas d'autres leaders et qui fait passer la fidélité à sa propre personne avant l'obligation institutionnelle de rendre des comptes.
Son repos - où il entre une grande part de stratégie militaire et électorale - suscite un débat que le chavisme a toujours voulu éviter. Sans Chávez, la nécessité de répondre aux attentes sociales restera une donnée fondamentale de la vie politique, mais le chavisme, comme mouvement politique, ne devrait pas avoir de postérité, ce qui sans aucun doute préoccupe bon nombre de Vénézuéliens situés au bas de l'échelle. Comprendre ce sentiment d'absence qu'a éveillé parmi certains chavistes la maladie du président : telle sera peut-être la clé de l'élection de l'année prochaine.
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