Chroniques de la croisette J9
Carnet d'Airam
by Younes Jama
Il était une fois un homme Guy le Cévenole, un grand amoureux de la nature et qui arpentait les Causses comme s'il brodait la mémoire des hommes et de la terre. Marcher, rencontrer les gens sur le chemin et leur parler lui paraissait aussi fin que le travail d'une dentellière.
Guy était un résistant et pourtant peu de gens avait entendu parler de lui ou connaissait son histoire. On disait qu'on reconnaissait ses faits d'armes grâce à l'urosperme de Daléchamp – Hugo avait noté Urospermum dalechampii - qu'il laissait telle une signature sur les tombes des hommes qu'il enterrait. Il voulait vivre libre et luttait pour cela, la haine n'avait pas de place dans son cœur et il mettait un honneur à rendre à la terre ses fils aussi cruels et sanguinaires furent-ils.
Pour ceux qu'il avait aidé à passer dans la zone libre, il ne réclamait qu'une seule chose qu'ils ne devaient pas évoquer son nom, nulle part. Il ne cherchait pas la gloire, il faisait ce qui était à faire et parlait peu. Il observait et écoutait surtout.
Il arrivait qu'en cette période où l'humanité perdit toute mesure, les gens qui traversaient les Cévennes pour fuir la barbarie, pleuraient non seulement leurs proches, leur fortune, mais également des objets auxquels ils attachaient des valeurs sentimentales. A tous ceux-là, il montrait sa fleur fétiche et disait ''L'essentiel est qu'on respire maintenant autant qu'elle !''.
''Il s'en est sorti ?''
Pour les rares personnes qui l'avaient côtoyé après la guerre, Guy était persuadé que sa vraie quête commençait. Il arpenta de nouveau les Causses, beaucoup plus lentement qu'au début, bien sûr que les blessures avaient laissé des séquelles dans son corps et qu'il en souffrait, mais les séquelles des autres étaient plus profondes et de toute autre nature. Elles exigeaient du temps et de la patience, il fallait s'y arrêter pour les guérir. Les obus et les rafales qu'on entendait plus dans le monde réel habitaient les âmes dorénavant et ne voulaient plus se déloger. Les plus lâches étaient les plus vulnérables et les plus difficiles à traiter.
Thérèse parlait avec beaucoup d'émotion. Elle se rendit compte qu'au-delà des visages amis, il y en avait d'autres qui suivaient son récit.
''Qui t'a raconté son histoire ?''
Thérèse ne répondit pas. Mansur mit la radio et la voix de Moustaki emplit le petit bistrot.
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